A titre de préliminaire, plantons le décor du
séjour :
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Lieu : Caltilsabas
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Gite : « Refugio El Pajar »
avec une grande pièce de vie et un dortoir au rez-de-chaussée, des
chambres pour les couples et les familles à l’étage.
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Le petit plus : une cheminée et un
propriétaire affable.
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Le détail qui tue : un cadre
photographique avec un papy nu en train de nourrir des vautours
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Pour faire baver ceux qui ne sont pas venus,
sachez que nous avons eu une météo magnifique. Au point de cuire
parfois dans nos combinaisons. Un ciel bleu et une luminosité
méditerranéenne. Un morceau d’été qui surgit début novembre.
Premier jour : Canyon de San
Martin (2.1.IV)
La mise en bouche. L’apéritif. Le début de
l’aventure.
Honnêtement, la suite a été tellement
grandiose que les détails de ce premier canyon se sont déjà
presque effacés de ma mémoire. J’ai honte d’apparaitre ainsi
blasé, mais je dirais que c’était du classique « Sierra de
Guara » : bonne excursion sur cordes, dans du gros
paysage.
Mais, c’est ici que le groupe s’est
vraiment construit :
Le boss : Jean Phi
Les encadrants : Fabien et Pascal (avec
son sac présidentiel « Riviera-Monaco »)
Les équipiers et apprenants : William
(organisateur) et Carine, Guerric et Lydia, Bernard, Laure, Lionel,
et moi-même (Pierre). Chacun amenant son enthousiasme et sa propre
histoire autour de l’activité.
Pour ce premier jour, Caro était resté au
gite avec la petite Léa et sa mamie.
Les premières vannes fusent pendant la marche
d’approche : on démasque les ronfleurs du dortoir, on déterre
du passé des apéros sanglants au Bacardi. Ça chambre dans les
couples, certains s’écorchent sur les buissons épineux. On
s’échange des conseils.
L’équipe est prête, on peut changer de
braquet.
Deuxième jour : Canyon
d’Escomentué (4.2.III)
On nous avait dit : « un must dans
la région ». Je confirme. Le site et la descente sont à
couper le souffle. Et j’inclue la marche d’approche dans
l’appréciation : vue sur le lac, une petite cheminée à
escalader avec l’arrivée sur le plateau.
Le cœur du canyon, avec de grands rappels
légèrement inclinés, permet de prendre la mesure du site assez
sereinement.
Personnellement, je me suis retrouvé à poste
dans un petit relais en bas de la descente et je ne me suis aperçu
qu’en bas que j’avais cuit comme une saucisse dans ma
combinaison. Mon visage coulait à peu près autant que le Canyon…
De même, la nuque de Pascal avait pris la couleur du drapeau
monégasque.
Un grand groupe et un Canyon qui se mérite :
10h30 d’effort entre le départ et le retour aux voitures. Timing
parfait : le soleil s’est couché au moment d’enlever la
combinaison. Pas besoin de se planquer pour se déshabiller.
Quelques Haribos pour démasquer les gourmands
(tous, en fait) et retour au gite.
Arrivée tardive, pas de tarot ce soir.
Dommage, on aurait bien pris notre revanche sur Fabien qui nous avait
défoncé la veille… Remarquez, il est toujours préférable de
laisser gagner les encadrants.
Le groupe tourne. On se sent bien, à l’aise
dans les discussions, bien dans la pratique.
Le soir, Jean Phi annonce la couleur :
demain, ce sera Lazas.
Troisième jour : Canyon de
Lazas (6.3.VI)
Le topoguide était sur la table depuis le
début du séjour. On sentait bien que c’était du lourd, du très
lourd. Mais les indices de cotation, les vues en coupe, ça reste
vaguement abstrait. On a confiance dans nos encadrants, les
encadrants semblent avoir confiance en nous, alors on y va, on fonce.
On n’est quand même pas venu pour sucrer les
fraises et faire des ronds dans l’eau dans des vasques à crapaud !
Maintenant, je peux confirmer, c’était
effectivement du lourd. Du très lourd.
Comment décrire cet afflux d’émotions
mélangées : concentration intense, peur, émerveillement,
sensation collective de vivre quelque chose de rare ?
La suite de l’article va prendre un tournant
plus personnel ; je vais essayer d’être sincère, de poser
mon ressenti sur la table, en espérant que d’autres pourront s’y
reconnaitre.
Commençons à l’avant dernier petit relais
avant la rupture. Le groupe est passé, je déséquipe sous le regard
bienveillant de Fabien, posté en bas. J’aime ces moments de
calme : concentration, clic-clac des mousquetons, dernière
vérification et c’est parti.
Mais, dans quelques minutes l’ambiance va
changer.
Un peu de marche en rivière, un autre rappel.
Ensuite, on arrête les enfantillages :
Pascal apparait dans un rétrécissement en forme de V. Il est à
l’amarrage du premier relais sérieux. La terre a disparu. Plus de
plancher, on est en lévitation.
A peine un petit repli de la falaise à gauche
et des arbres riquiquis, vers le bas, sur une autre planète.
Dans le groupe, les visages sont graves, les
regards plus appuyés. A quoi je ressemble à ce moment-là ? On
s’en fout. Complètement. Bas les masques, on ne triche plus.
Chacun fera de son mieux.
Pascal me tend la corde, je décompose mes
gestes, je rassemble ma concentration. Je gère la corde. Puis, les
fesses bien en arrière, c’est l’abordage.
Le début de la descente est un soulagement.
Etre actif fait du bien. Et pourtant, c’est technique : une
suite de surplomb. J’ai du mal à trouver le bon rythme pour
limiter les à-coups... Et ça m’agace. On mesure la valeur d’une
corde dans ces moments là.
Jusqu’à une voix calme, toute en maitrise.
Fabien : « Pierre, il ne faut pas que tu descendes trop
bas, on va préparer ton arrivée ».
Un regard entre mes jambes :
……
……
MAIS C’EST UN TRUC DE MALADE !
On atterrit carrément dans la lèvre
extérieure d’une grotte, avec 200 mètres de vide par derrière.
……
……
Bon, respiration.
Je prends les consignes. Descente, doucement.
Le bout de mes chaussures touche. Petit mouvement latéral, Guerric,
Laure et Fabien m’attrapent. Plaf, au milieu du groupe : une
embrassade générale à la mode Canyon. Dans les fumets des
néoprènes.
On rassemble chacun nos membres, on
repositionne les longes. Départ de Laure qui va aider Jean-Phi pour
la suite.
On trouve notre place dans la petite grotte
avec Guerric. Pendant l’attente, on quitte le mode actif et on
récupère notre voix pour faire autre chose que la sécurité
immédiate.
« putain les mecs, mais
keskecèk’cetruc ». « un machin de dingoooooooo ».
« Mais comment il a fait Jean Phi ? Il a attrapé la
chaine d’amarrage par des passes magnétiques, façon Majax » ?
Arrivée de Lydia. Elle se marre, à l’aise.
Les deux amoureux se rejoignent, pour quelques
minutes.
Départ de Guerric. Fabien veille.
Arrivée de Lionel. Il y est. Malgré son
vertige. Chapeau.
C’est mon tour. Retour du mode actif. Je
passe mes longes : clic puis clac. J’avance mes pieds.
Concentré, focalisé, tendu : Fabien me parle, je n’enregistre
pas. Mon cerveau ne gère que le court terme. Je me dirige vers mon
but : l’amarrage. Avec la vague allure d’un opossum.
J’y suis. Je relève le nez. Je peux à
nouveau entendre, prendre les consignes. Puis : départ sur la
corde.
Les deux relais suivants sont moins chargés.
Pendant la descente, on re-démarre linéairement ses fonctions
supérieures. L’unité centrale reprend son fonctionnement nominal.
A un poste, je verrai fuser Bernard : le
plus ancien aura enchainé les relais les uns après les autres. Le
Canyon comme une glissade. Physique. La forme olympique.
En bas, on se retrouve à trois, longés à un
amarrage, à la fin des difficultés. Avec Pascal et Bernard. Une
réflexion fuse : « Un canyon qui a des couilles, non ? ».
Et le fou rire part, brusque, inarrêtable. On
décharge. Trois gugusses, contre une paroi, qui se gondolent de
rire. C’est un moment de partage, précieux.
On prend aussi le temps d’admirer la majesté
du site. Verticalement, le canyon est un repli, une draperie dans une
falaise orange et grise. Horizontalement, la falaise est découpée
par de nombreuses stries qui sont autant de nids pour les rapaces.
Bilan de la journée : les équipiers sont
passés. Les encadrants ont su gérer le groupe, Jean Phi a ouvert
tous les relais. Respect, chacun a partagé cette aventure à la
mesure de ses moyens.
En soirée, William nous a réservé un resto :
on s’explose la panse en s’enfilant des pichets de bière au
citron. Après ce vécu commun, les conversations sont faciles et
naturelles. On parle plus librement de nos parcours, on échange nos
histoires familiales.
Retour au gite et au dodo, le ventre repu.
Dernier jour : Canyon de
Palomeras del Flumen (3.5/IV)
Ce canyon est un petit bonbon pour finir le
séjour.
Ici, c’est de l’aquatique : des biefs,
du ludique, de l’opposition au-dessus des remous. Pas beaucoup de
hauteur, même si il faut poser quelques cordes.
On apprécie toujours ces Etrechos qui
serpentent en profondeur.
Niveau d’eau nickel, pas trop glissant,
totale maitrise.
Pour ne rien gâter, la marche de retour offre
une vue magnifique vers la vallée.
Ensuite, eh bien, on se change, on remonte
chacun dans nos voitures, pour retrouver le cours normal de nos vies.
Il restera les combinaisons à laver, le
matériel à sécher et l’espoir de repartir bientôt…
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